
La fête des rameaux est également appelée le dimanche de la Passion du Seigneur, et cette double appellation témoigne du paradoxe qui traverse cette journée. La messe débute dans un cri de joie : en élevant nos rameaux nous acclamons Jésus comme notre roi. Mais quelques instants plus tard, nous entendons la longue lecture de la passion de Jésus. Mais qui est donc ce roi qui finit de manière aussi misérable ? C’est comme si la lecture de la passion remettait en question nos acclamations premières.
La semaine sainte qui s’ouvre nous fait entrer dans ce grand paradoxe et dans la profonde remise en question des images trop humaines que nous entretenons sur Dieu. Le grand danger que courent les « vieux baptisés », ceux qui sont tombés dans la foi quand ils étaient petits, c’est de penser qu’au fond, ils connaissent bien Dieu, depuis le temps pensez donc, ils ont compris le message de l’Évangile. Je me souviens d’un professeur de théologie qui aimait à nous répéter : « A propos de Dieu, si vous pensez avoir compris, c’est qu’on vous a mal expliqué… ». L’arrivée massive de jeunes catéchumènes ces dernières années est une grâce pour nous tous, car eux au moins, ils savent qu’ils ne savent pas… Ils nous rappellent que Dieu est infiniment au-delà de tout ce que nous pouvons savoir. Cette semaine, c’est ensemble, jeunes et vieux, que nous nous approchons de la croix.
Or devant la croix, toutes nos certitudes sur Dieu tombent à terre. La croix nous déroute, elle nous bouscule et nous déplace. Au pied de la croix, nous perdons notre assurance et nous sommes bien obligés de reconnaître que Dieu n’est décidément pas comme nous le pensions. Nous ne comprenons plus Dieu. Alors, enfin, nous pouvons commencer à croire. Apprendre à croire c’est un peu comme apprendre à marcher. Quand un petit enfant fait ses premiers pas entre ses deux parents, il faut qu’il lâche une main pour aller chercher l’autre en risquant un pas, tout seul, titubant. Il faut qu’il lâche une main et pendant un instant il se retrouve seul, sans appui, ne sachant pas trop s’il atteindra l’autre main, de l’autre côté. Cette semaine, en marchant vers la croix, c’est cela que nous vivrons. Il nous faut lâcher la main de nos certitudes, de nos évidences, de nos idoles, pour avancer vers ce que nous ne savons pas encore de Dieu, vers l’immensité de Dieu révélée en Jésus crucifié, vers Dieu plus grand.
La semaine sainte est pleine de ce paradoxe et de cette gravité : il nous faut quitter quelque chose sans savoir ce vers quoi nous allons. Cette semaine, au pied de la croix, acceptons de nous retrouver sans appui, sans certitude, comme des petits enfants, devant l’incompréhensible de Dieu. Acceptons de ne pas tout comprendre. Essayons seulement de croire. Et d’aimer.
Pierre-Alain Lejeune